EDF : « L’acte final d’un long démantèlement du service public de l’énergie en faveur du privé »

Un collectif de cinquante signataires – salariés et anciens dirigeants d’EDF, syndicalistes et élus politiques –,
parmi lesquels Clémentine Autain, Delphine Batho, Laurent Berger ou Eric Piolle, appelle dans une tribune au
« Monde » à l’abandon du projet « Hercule » de réorganisation d’EDF négocié entre le gouvernement et la
Commission européenne.

Actuellement en négociation avec la Commission européenne, le projet « Hercule » du gouvernement français
est l’acte final d’un long démantèlement du service public de l’énergie en faveur du secteur privé. Hache à la
main, « Hercule » s’apprête à découper Électricité de France au détriment de ce que l’entreprise apporte au
pays depuis soixante-quinze ans.

« Nous, citoyen.ne.s, chercheurs.euses, salarié.e.s d’EDF, syndicalistes, représentant.e.s du personnel et élu.e.s
de la République appelons le président de la République à renoncer au projet « Hercule », et le Parlement à
dresser le bilan de vingt ans de libéralisation afin de reprendre la maîtrise publique du secteur de l’énergie.

Une première depuis 1946

« Hercule » viserait à scinder en plusieurs sociétés une entreprise déjà bien désarçonnée depuis la fin des
années 1990.

D’un côté, EDF Bleu prendrait en charge l’exploitation des centrales nucléaires et resterait publique.

De l’autre, la production d’énergies renouvelables, les activités outre-mer et la très rentable distribution de
l’électricité seraient réunies au sein d’EDF Vert, avec un capital ouvert à 30 %. Les concessions hydroélectriques,
réunies sous la bannière d’EDF Azur, seraient gérées indépendamment. In fine, les trois filières de production
d’électricité, nucléaire, hydraulique et renouvelable (éolien et solaire) seraient en concurrence les unes avec les
autres.

Alors que les secteurs demandant des investissements lourds resteraient publics, les secteurs dégageant des
dividendes seraient ouverts aux actionnaires. Socialiser les dettes, privatiser les profits, c’est un grand classique
des logiques de privatisation. L’Etat assumerait les financements onéreux, les investisseurs privés en tireraient
les bénéfices. L’intérêt général ne peut être inféodé à ce point à l’intérêt particulier.

L’éclatement d’EDF marquerait la fin de la complémentarité entre les moyens de production, pourtant
indispensable au bon fonctionnement du service. Il supposerait une rupture définitive de la synergie entre la
production, la distribution et la vente de l’électricité, une première depuis 1946 et la nationalisation d’EDF-GDF,
née du programme du Conseil National de la Résistance.

L’industrie électrique française sacrifiée

Défendue par le général de Gaulle (1890-1970) et Marcel Paul (1900-1982), ministre de la production
industrielle de l’époque, cette cohérence technique, qui a permis au pays de se reconstruire et de prospérer, a
été savamment détricotée au fil des décennies par l’Union européenne et les différents gouvernements
successifs.
Cette manœuvre menée conjointement se poursuit. Depuis 2011, l’Accès régulé à l’énergie nucléaire
historique (Arenh) oblige EDF à vendre un quart de sa production nucléaire à ses concurrents à un prix fixe mais
défavorable à EDF car jamais réévalué : 42 euros le mégawattheure. Objectif pour Bercy : augmenter ce prix de
vente de 20 % pour qu’il reflète au mieux les coûts de production.

Problème : la Commission européenne exige en contrepartie la séparation des activités de production et de
vente, c’est-à-dire le démantèlement. En d’autres termes, il s’agirait de sacrifier le modèle de l’industrie
électrique française, qui a fait ses preuves au fil des décennies, et par là même notre souveraineté énergétique,
pour satisfaire les desiderata de Bruxelles.

Le défi herculéen posé à EDF est aussi nocif pour les consommateurs. Nos dirigeants n’ont cessé de nous répéter
que la concurrence permettrait une baisse du coût de l’électricité. Il n’en est rien. Depuis 2007, les prix à la
consommation d’électricité ont augmenté de 50 % (Les dépenses des Français en électricité depuis 1960, Insee
Première n° 1746, avril 2019).

Stratégique et vital

En séparant les moyens de production, « Hercule » va inexorablement venir saler la facture des usagers dans
un pays qui compte 7 millions de personnes touchées par la précarité énergétique (Tableau de bord de la
précarité énergétique Edition 2020, Observatoire national de la précarité énergétique, 2020). Par ailleurs,
comment s’y retrouver dans un système où prospèrent près d’une cinquantaine de fournisseurs d’électricité
dont l’énergie distribuée est produite à plus de 80 % par EDF ? (RTE Bilan électrique, 2019)

Après les télécommunications, les rails et les autoroutes, le secteur de l’énergie est à son tour amené à être
démantelé afin de répondre aux désirs des banques d’affaires. Nous en appelons donc à la responsabilité du
président de la République. L’énergie est un bien stratégique, vital pour les citoyens comme pour l’économie,
et déterminant pour la transition énergétique. L’État doit, comme en 1946, reprendre la main sur l’énergie. Hier
pour reconstruire le pays, aujourd’hui pour sauver le climat.

Parce que l’énergie est un bien commun et qu’elle est l’affaire de tou.t.e.s, nous demandons au Parlement
d’établir noir sur blanc les conséquences de vingt ans de dérégulation et de libéralisation du marché. L’heure
est au bilan afin de déterminer et de mettre en œuvre la meilleure des stratégies pour EDF dans l’intérêt de la
nation. À l’heure où la mémoire est célébrée et l’amnésie pratiquée, l’Etat doit tenir ses promesses du « monde
d’après » en réindustrialisant le pays, gage de notre souveraineté, et en préservant le service public « quoi qu’il
en coûte ».

Il est temps de dessiner un horizon serein pour notre jeunesse. Si le projet « Hercule » voit le jour, le point de
non-retour de deux décennies de privatisation sera franchi et le secteur énergétique sera le talon d’Achille de
la France ».

SIGNATAIRES :

Céline ANTONIN – Chercheuse en économie
Éliane ASSASSI – Sénatrice PCF de Seine-Saint-Denis
Jean AUROUX – Ancien ministre de l’énergie
Clémentine AUTAIN – Députée LFI de Seine-Saint-Denis
Daniel BACHET – Professeur émérite de sociologie, Université d’Evry-Paris-Saclay
Étienne BALIBAR – Universitaire
Delphine BATHO – Députée EELV des Deux-Sèvres, ancienne ministre de l’écologie et de l’énergie
Christophe BAUMGARTEN – Avocat
Laurent BERGER – Secrétaire Général de la CFDT
Olivier BESANCENOT – Ancien candidat NPA à la présidentielle
Jean-François BOLZINGER – Ingénieur
Dominique BOUSQUENAUD – Secrétaire Général FCE-CFDT
Marie-Claire CAILLETAUD – Responsable confédérale pour l’industrie de la CGT
André CHASSAIGNE – Député PCF du Puy-de-Dôme et président du groupe GDR à l’Assemblée nationale
Alexis CORBIÈRE – Député LFI de Seine-Saint-Denis
Cécile CUKIERMAN – Sénatrice de la Loire, conseillère régionale Auvergne-Rhône-Alpes, porte-parole du PCF
Sylvain DELAITRE – Ingénieur de recherche, Thales
Christophe FERRARI – Président de Grenoble-Alpes Métropole
Fabien GAY – Sénateur PCF de Seine-Saint-Denis
Guillaume GONTARD – Sénateur EELV de l’Isère
Jan Willem GOUDRIAAN – Fédération européenne des services publics -EPSU
Vincent HERNANDEZ – Secrétaire général de la fédération FO FNEM
Philippe HERZOG – Ancien député européen et conseiller auprès de la Commission Européenne
François HOMMERIL – Président de la confédération CFE-CGC
Régis JUANICO – Député de la Loire
Sébastien JUMEL – Député PCF de Seine Maritime
Michel LARRIVE – Député LFI de l’Ariège
Frédéric LEBARON – Professeur de sociologie, ENS Paris-Saclay, Savoir/Agir
Jean-Paul LECOQ – Député PCF de Seine-Maritime
Hélène LOPEZ – Secrétaire Générale de la fédération CFE-CGC Energies
Hervé MACHENAUD – Directeur de la branche Asie-Pacifique du groupe EDF (2010-2015)
Philippe MARTINEZ – Secrétaire Général de la CGT
Jacques MASSON – Ex-Directeur de la production hydraulique à EDF
Jean-Luc MÉLENCHON – Député LFI des Bouches-du-Rhône
Sébastien MENESPLIER – Secrétaire général de la FNME CGT
Arnaud MONTEBOURG – Homme politique français
Danièle OBONO – Députée LFI de Paris
Philippe PAGE LE MÉROUR – Secrétaire général du CSEC d’EDF SA
Éric PIOLLE – Maire EELV de Grenoble
Dominique POTIER – Député PS de Meurthe et Moselle
Loïc PRUD’HOMME – Député LFI de la Gironde
Adrien QUATENNENS – Député LFI du Nord
Fabien ROUSSEL – Secrétaire national du PCF / Député du Nord
Jacques SAPIR – Directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences
Sociales, directeur du CEMI, Centre Robert de Sorbon
Jean-Pierre SOTURA – Ex-Commissaire de la Commission de Régulation de l’énergie
Luc TRIANGLE -Secrétaire Général IndustriAll European Trade Union
Michel VAKALOULIS – Docteur en philosophie, sociologue, Université Paris 8 / CRESPPA – CNRS
Yves VEYRIER – Secrétaire général de la confédération FO
Louis WEBER – Éditeur
Hubert WULFRANC – Député PCF de Seine Maritime

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